Quand une autorité n’est pas ce qu’elle prétend être
Libra Law assiste l’ancien biathlète Evgeny Ustyugov, champion olympique et vainqueur de plusieurs épreuves de Coupe du monde, dans le cadre d’une procédure qui l’oppose à l’IBU (CAS 2020/A/7509 Evgeny Ustyugov c. International Biathlon Union).
Cette fédération internationale avait déposé une « requête d’arbitrage » devant la Chambre Anti-dopage du Tribunal Arbitral du Sport (CAD TAS). La compétence de ce tribunal a été immédiatement contestée dès lors que l’athlète n’avait jamais signé de compromis arbitral ; de surcroît, la clause arbitrale faisant référence à la CAD TAS avait été adoptée par l’IBU après le départ à la retraite de l’athlète.
Dans un arrêt du 22 décembre 2022 (ATF 148 III 427), le Tribunal fédéral confirme que la CAD TAS n’est en fait pas un tribunal arbitral, mais uniquement une autorité disciplinaire agissant sur délégation des fédérations internationales. Dans ces circonstances, aucun compromis arbitral n’était nécessaire et l’IBU pouvait donc valablement déléguer son pouvoir disciplinaire à ce nouvelle chambre, entrée en fonction en 2019, sans obtenir l’assentiment préalable du sportif.
Dans un arrêt très détaillé, rendu à cinq juges, le tribunal fédéral souligne en premier lieu qu’il ne faut pas se fier à la dénomination d’un organe, fût-il dénommé « tribunal arbitral » (consid. 5.2.3). Dans le cas d’espèce, les règles de procédure adoptées par la CAD TAS s’intitulent « règlement d’arbitrage ». Ces règles se réfèrent à de multiples reprises à des notions tirées de l’arbitrage. Ainsi, l’art. A2 se réfère à une clause arbitrale (« arbitration clause »). Cette même disposition indique également que la CAD TAS agit comme autorité arbitrale de première instance (« first-instance arbitration »). Elle parle également de procédure arbitrale (« arbitration procédure »). L’article A3 parle de formation arbitrale (« arbitration panel »). L’article A4 se réfère à la langue de l’arbitrage (« the language of the arbitration »). L’article A6 indique que la procédure est initiée par une requête d’arbitrage (« request for arbitration »). Elle indique aussi que la procédure se termine par la notification d’une sentence arbitrale (« arbitral award »).
Pour le Tribunal fédéral, une telle terminologie n’est pas décisive (consid. 5.9.3). Il faut plutôt constater que les parties n’ont pas voulu investir un tribunal arbitral du pouvoir de rendre une décision à caractère contraignant en lieu et place de la juridiction étatique normalement compétente. De plus, il ressort de l’accord signé entre l’IBU et la CAD TAS qu’il s’agissant de déléguer à cette chambre sa compétence pour statuer en première instance sur l’existence d’éventuelles violations des règles antidopage et prononcer, le cas échéant, des sanctions disciplinaires. Or, un véritable tribunal arbitral qui doit, par définition, offrir des garanties suffisantes en termes d’indépendance vis-à-vis des parties, ne saurait fonder son pouvoir de rendre une sentence, laquelle déploie des effets similaires à ceux d’un jugement étatique, d’une convention de délégation conclue uniquement avec l’une des deux parties au litige (consid. 5.9.3).
En conclusion, la CAD TAS ne saurait, en l’espèce, être assimilée à un tribunal arbitral (consid. 5.9.3).
Si la CAD TAS n’est donc qu’une simple autorité disciplinaire tirant ses pouvoirs d’une délégation de la part d’une fédération internationale, il faut néanmoins réserver le cas où les parties consentent à confier leur litige à la CAD TAS en ayant recours à une formation de trois arbitres et en renonçant à faire appel à la Chambre arbitrale d’appel du TAS. Dans un tel cas, la CAD TAS devrait être perçue comme une instance arbitrale à proprement parler vu qu’elle tire alors sa compétence d’un véritable compromis arbitral. Toutefois, le fait que la CAD TAS soit liée à l’une des parties, à savoir la fédération internationale, par un contrat prévoyant une délégation de pouvoir, pose un problème majeur sous l’angle de son impartialité. Nul doute qu’une telle question sera un jour tranchée par le Tribunal fédéral.